Fumer tue
Le 31 mai est la journée mondiale sans tabac
Ce texte s’adresse aux fumeurs, je ne souhaite pas entrer dans un débat avec toi, je ne souhaite pas jouer les moralisateurs, je souhaite simplement te raconter mon histoire, j’aurais aimé qu’on la lui raconte il y a quelques années.
Le tabac tue, c’est désormais marqué sur les paquets de cigarettes, « fumer tue », « fumer provoque des maladies graves ». Et pourtant tu fumes …
Tu t’es certainement dit qu’il fallait que tu arrêtes, et pourtant tu ne trouves pas le courage, la volonté et l’envie de jeter tes cigarettes. Il y a toujours une bonne raison pour temporiser un peu, attendre le bon moment, patienter que toutes les conditions soient réunies pour arrêter.
Prends le temps de respirer, car je vais te raconter mon histoire, ce que j’ai vécu en tant que fils.
Aujourd’hui, ces inspirations longues et profondes qui te semblent si banales, si faciles, pourraient un jour devenir plus difficiles de par la maladie à laquelle tu t’exposes chaque jour un peu plus, chaque cigarette que tu allumes augmente ton risque de voir ce que j’ai vu, de souffrir comme j’ai vu souffrir.
Tu veux avoir une idée de ce que tu risques, c’est très simple, ralentis ta respiration, et ne prends que de petites inspirations puis de moins en moins souvent. Fais l’effort de le faire, juste pour voir, pour comprendre ce que je te raconte. Laisse-moi une chance de te convaincre. Lorsque tu manqueras d’air, force-toi à essayer de retrouver ton souffle sans de grandes inspirations, essaye de garder ton calme, d’affronter ce à quoi tu t’exposes. Lorsque tu auras vraiment trop de mal à respirer, alors pense à toi, à ta santé, à tes poumons.
Si tu m’as laissé une chance de te convaincre, tu as ressenti l’angoisse de ne plus pouvoir respirer, et tu as certainement terminé par prendre une longue et grande inspiration. N’était-elle pas un vrai bonheur ?
Cette inspiration est l’essence de la vie, nous inspirons et expirons un nombre incalculable de fois par jour, ce geste si naturel nous permet de vivre. Lorsque ce geste commence à devenir difficile, la vie s’éteint doucement en toi.
J’ai vu, ce que chaque fumeur devrait voir avant d’allumer une cigarette, un homme de 54 ans, en parfaite santé, se dégrader jour après jour.
Tout a commencé par une toux qui ne voulait pas guérir, puis cette toux s’est faite de plus en plus forte, de plus en plus gênante.
Il fut soigné dans un premier temps pour une bronchite, mais là où les médicaments auraient dû le guérir, ils furent inefficaces, trois semaines plus tard, cet homme toussait toujours, et les analyses décelèrent un cancer des poumons.
Il fut tout d’abord admis en hôpital de jour où il effectua une multitude d’examens pour trouver une solution, comment le guérir, comment rendre sa souffrance supportable. Chaque matin pendant deux semaines, il fit le même chemin pour aller à cet hôpital et plus les jours passaient, plus il avait du mal à monter les quelques marches et à traverser le grand hall de l’hôpital pour rejoindre le service de pneumologie, jusqu’au jour où … il fut admis à l’hôpital en soins intensifs.
Lorsqu’il entra en soins intensifs, il eut cet espoir qu’il pourrait guérir, et il dut se jurer de ne plus jamais fumer, je me souviens l’avoir eu au téléphone et l’entendre tousser, je lui demandais, naïvement, s’il n’avait jamais envie d’en griller une petite, s’il ne ressentait pas le manque de la nicotine, je comprends aujourd’hui sa réponse, « non là j’ai vraiment plus envie », un silence, puis il répéta « plus envie du tout ». Je comprends aujourd’hui ce qu’il a dû se dire …
Il éprouvait de plus en plus de difficulté à parler, car les longues conversations déclenchaient de violentes toux, et reprendre sa respiration devenait difficile, alors sa parole s’éteignit petit à petit. Son état se dégradait, et il ne se levait plus de son fauteuil.
Ce fauteuil, il y passa ses derniers jours, il ne pouvait plus dormir qu’assis, chaque geste lui demandait de terribles efforts.
Cet homme, assis dans ce fauteuil, perdant l’appétit, par manque de souffle, par manque de force, randonnait sur des sentiers pédestres deux mois auparavant sur l’île de beauté.
Je n’ai pas assisté à la dégradation fulgurante de son état général, mais quasiment chaque jour je l’ai eu au téléphone et je pouvais constater de la diminution inconcevable de son état, jusqu’au jour où une autre personne décrocha le téléphone car lui ne pouvait plus parler, son corps ne pouvant plus assumer cette fonction si basique.
Ne pouvant plus lui parler, je me suis rendu sur place, et tout en étant préparé à trouver une personne affaiblie, je fus profondément choqué, terrorisé, par son visage marqué de souffrance, il avait perdu énormément de poids et avait vieilli de plusieurs années en quelques semaines. Ses respirations étaient très courtes, il avait beaucoup de mal à respirer.
Te rappelles-tu ce que je t’ai demandé de faire au début ?
Lui, il vivait ce manque de souffle au quotidien et ne pouvait plus arrêter l’expérience en prenant cette bonne respiration que tu as dégustée.
Son corps semblait déjà sans vie, on pouvait lire la souffrance dans ses yeux, pendant ces deux jours, ces deux derniers jours, je n’ai que peu croisé son regard pour deux raisons. La première est qu’il n’avait que très rarement la tête relevée, la deuxième est que, je pense qu’on connaissait tous les deux l’issue, et tant de choses passent dans un regard … Le peu que nous avons échangé est gravé en moi pour longtemps, je crois même que ce sont ces regards qui me poussent à écrire.
A chaque paquet de cigarettes que je vois, à chaque bout de cigarette incandescente que je vois rougir, je repense aux yeux de cet homme, à son regard terrifié, à son corps détruit, mais je me tais car je crois au libre arbitre.
Cette personne était mon père, il est parti bien trop tôt. J’aimerais revenir en arrière, des années en arrière et lui donner ce texte, mais la machine à remonter le temps n’existe pas encore, alors peut-être, qu’en lisant ma révolte, cela évitera à tes enfants, à tes proches, d’écrire à leur tour leur révolte le jour où le tabac t’aura détruit comme c’est écrit sur les paquets, « fumer tue ».
Sébastien, fils de Jean-Paul, décédé le 26 Septembre 2005, des suites d’un cancer des poumons.
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